Après avoir retouché des années durant modèles et stars jamais assez minces à son goût, il semblerait que l’industrie de la mode se retrouve désormais confrontée au problème inverse : devoir étoffer des mannequins devenues maigrissimes… Reviendrait-on enfin aux formes pulpeuses ?
Longtemps gardé sous silence, le phénomène de la « retouche inversée » commence à sortir du placard. Excédés par « l’effroyable maigreur » des modèles, qui les pousse à faire retoucher régulièrement tel ou tel cliché afin que ces dernières aient l’air « en meilleure santé », certains rédacteurs en chef (Health and Fitness, Healthy) et rédactrices de mode (Alexandra Shulman du Vogue UK) n’hésitent en effet plus à tirer la sonnette d’alarme.
Un constat partagé par Robin Derrick (DA du Vogue UK), qui déclara avoir « passé les dix premières années de [sa] carrière à faire paraître les filles plus minces et les dix dernières à essayer d’atténuer leur maigreur ». Une des dernières techniques à la mode pour les mannequins ? Avaler des boules de coton imbibées de jus d’orange, afin de couper la faim et garder le ventre plat. Appétissant !
Hardy décrit sa position comme étant un « dilemme » entre donner des images de bonne santé et entretenir la mythologie voulant que l’extrême minceur soit saine :
« A l’époque, quand, après avoir étudié de près les images brutes, on créait l’apparence d’une peau lisse sur des côtes protubérantes, on adoucissait l’aspect de clavicules ressortant comme des cintres, on ajoutait des courbes aux fesses plates et qu’on rajoutait du volume aux poitrines de moineau, on croyait bien agir… On savait que ces femmes ridiculement maigres feraient fuir nos lecteurs; on avait l’impression qu’elles donnaient le mauvais exemple et qu’il aurait été irresponsable de les montrer telles qu’elles étaient en réalité.Mais aujourd’hui, je me pose des questions. Parce que malgré toutes nos retouches, le lecteur pouvait très bien voir que ces filles étaient très très maigres. Mais bon, elles avaient tout de même l’air très en forme!
Elles avaient un tour de taille de 56 cm (celles-ci n’ont jamais été agrandies), mais elles avaient aussi de la poitrine et une peau magnifique. Elles avaient des cuisses et des chevilles fines, mais des cheveux toujours éclatants et des joues rebondies.
Grâce aux retouches, nos lecteurs… n’ont jamais vu le revers de la maigreur, son aspect effrayant et famélique. Que ses filles en sous-poids n’avaient pas l’air glamour en réalité. Leurs corps squelettiques, ternes, leurs cheveux abîmés, les boutons et les poches sombres sous leurs yeux disparaissaient magiquement grâce à la technologie, ne laissant que l’impression d’un corps sculpté et des yeux de biches. »
Hardy a raison de dire que cela correspond à une « vision de la perfection qui n’existe pas ». Et de conclure: « Il n’est pas étonnant que les femmes rêvent d’être super minces quand elles ne voient jamais comme l’extrême minceur peut être laide. »
Et si l’on pourrait croire qu’il suffirait que les agences de mannequins se mettent à caster des filles un peu moins maigres pour réussir à régler le problème , les choses s’avèrent en réalité un peu plus complexes. Sachant que les vêtements shootés lors des séries mode sont précisément ceux aperçus sur les podiums (des pièces qui n’ont de cesse de rétrécir, l’idéal féminin des créateurs tendant de plus en plus vers l’androgynie), les magazines n’ont en effet d’autre choix que de choisir des modèles ultra minces. Bref, c’est l’histoire du serpent qui se mord la queue.
Or, si le tombé desdits vêtements s’avère alors généralement parfait, les filles n’ont quant à elles pas toujours l’air en bonne santé. Ex-journaliste chez Cosmopolitan, Leah Hardy révèle ainsi que taille 0 rime souvent avec cheveux ternes, peau manquant d’éclat, genoux cagneux et os apparents ; autant de détails impossibles à montrer si l’on veut pouvoir continuer à faire rêver les lectrices.
C’est à ce moment que Photoshop entre en scène. À coup de pinceau blush et autres instruments magiques, les joues se remplument, les côtes se font moins saillantes, les bras moins rachitiques. Un tour de passe-passe qui, en établissant un idéal impossible à atteindre pour la jeune génération,entretiendrait le fantasme selon lequel il serait possible d’être rayonnante de santé avec un IMC incroyablement bas.
En poussant les mannequins à radicaliser leur morphologie – au péril de leur santé – pour espérer rentrer dans leurs vêtements XXS, les designers créent au final une situation absurde qui n’est satisfaisante pour personne. À quand la prise de conscience ?
Source : Tendance de Mode